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Un de moins

Publié le par L'ours

Il y a quelque temps, quand était-ce, le mois dernier ? Un type s'est donné la mort. Un chômeur. Un de ces types à qui on refuse une allocation parce qu'il manque un papier à la liasse de bulletins de paye qu'il a déjà fournie, ou qu'un embrouillamini de dates rend le dossier irrecevable. Il a choisi la vengeance ouverte, le message par une ultime vachardise désespérée à l'égard de la société. Qu'y a-t-il de plus violent que de se foutre le feu au vu et au su de tous. Oh ! Quel exhibitionnisme morbide. Le remboursement est à la hauteur de ce que la société t'avait donné, n'est-ce pas ?
On en a un peu parlé à la radio. De ce type qui s'est « immolé par le feu ». Panurgisme  journalistique. « Il n'y a pas que ça », entendait-on en substance dans les sommentaires des experts commissionnés au micro pour nous expliquer son geste dégueulasse, le suicide du chômeur.
« Il n'y a pas que ça », c'est-à-dire : la seule situation sociale de ce chômeur ne peut expliquer son acte.
Que des plumes en plomb poussent au croupion de l'expert qui ose proférer cet argument plausible, peut-être même cette vérité. Que dans chacun de ses rêves, des désespérés viennent en cohorte le traiter de tranche de veau froid, de sans couilles, de matière molle et fécale. Que n'ajoute-t-il qu'il y en a plein d'autres qui supportent leur situation sans craquer l'allumette fatale et qu'il n'y a pas lieu d'en faire une histoire quand l'un d'eux brûle de faire connaître sa déchéance.

On en a parlé à la radio. Un peu. Avant de vite passer à autre chose. Pas de grands serments, la main sur le cœur, la phrase-choc aux lèvres, du (bon) genre :  « Plus jamais ça », « Nous sommes tous des chômeurs en fin de droit », « Moi, Président de la République, je ne laisserai pas un concitoyen sans ressource et sans avenir ». Non, rien de tout ça. On a rapidement compris que les regards se porteraient au plus tôt ailleurs. On n'a pas promis un débat à l'Assemblée visant à se poser la question de l'éventualité d'une décision qui pourrait être prise en faveur de ceux qui, la fin de la quarantaine arrivant, sans emploi depuis plusieurs mois ne retrouvent ni travail ni considération et voient arriver l'heure où ils auront épuisé l'intégralité de leurs droits. Ceux qui, bien que sans revenu, refusent le RSA et l'obole publique corrélée au statut attribué d'assisté. Pourquoi pas de parasite de la société, tant qu'on est dans le registre flatteur ? Autant dire d'inutile. Voilà un angle un peu différent, gentils et doctes experts de la radio.
Il n'y a peut-être pas que l'aspect financier qui l'a incité à son acte désordonné. Les regards posés sur lui quels étaient-ils ? S'il avait femme et enfants ou conjoint, quelle était la vision qu'ils avaient de ce chômedu qui ne pouvait subvenir aux besoins de sa famille ? Et ses voisins ? Je ne parle pas de ses anciens collègues qui depuis déjà un bon moment ne donnaient, ni ne prenaient plus de nouvelles. Et ses amis ?
Drame de la solitude, un chômeur pourtant bien entouré se donne la mort par le feu. Yes ! Ça pète, ce titre. Voilà un angle un peu différent, gentils et doctes experts de la radio.
Alors, ruiné, inutile, isolé... Si ça se trouve, il buvait, ou se droguait. Accro au sexe, à la télé, au jeu, à Facebook. Incapable de se désintoxiquer, se sentant promis à une irrémédiable et éternelle descente aux enfers. Dépressif, angoissé, il s'est suicidé dans un acte symbolique de révolte contre ses addictions.
Voilà un angle un peu différent, gentils et doctes experts de la radio.
On en a un peu parlé. Ça s'est passé devant l'agence de Pôle Emploi, le mal nommé, sur le trottoir. Depuis on a dû nettoyer le trottoir, le type a dû être enterré ou on a dû finir l'incinération quelque part, toujours est-il qu'on ne parle plus de ces chômeurs, qui la fin de la quarantaine arrivant, se retrouvent sans ressource, et dont certains refusent le RSA.
On n'en parle que lorsque l'un d'eux se suicide. Ça fait toujours un chômeur de moins, il paraît que ça grimpe en ce moment. Faites gaffe, ne laissez pas traîner votre briquet.

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