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Saint-Malo – Parade

Publié le par L'ours

Petits bonheurs personnels et gratuits, non-emprunts d'une certaine méchanceté.
On paradait à Saint-Malo. Les peuples du monde, excusez du peu, avaient participé à un genre de festival folklorique. Il manquait certainement des peuples, mais il y avait du monde. Pour clore ces festivités, une parade a eu lieu le dimanche 11 juillet, un genre de défilé où des bagads bretons dont la vue des participants conduit à se demander qui ils ont bien pu enterrer le matin même, tant leurs costumes sont gais et colorés, alternaient avec leurs homologues du monde entier sagement rangés par pays. Dans le public : des touristes, des peuples du monde et des Bretons.
Justement, nous jouxtait une paire de Bretons, mâle et femelle, un couple aux commentaires judicieux, pédagogiques, et qui cherchaient à s'exprimer à propos de tout ce qui passait sous le regard. Si la femme agissait comme en sous-titrant oralement les images de la rue, ce qui s'y déroulait, comme elle l'aurait fait pour un aveugle, l'homme, un poil intransigeant, mettait un grain de sel sans doute plus personnel que marin sur ce qui doit être dans ce genre de manifestation, c'est-à-dire la façon dont on doit prononcer tel patelin, la façon dont le photographe amateur doit se positionner pour qu'il ne gêne pas derrière, la façon dont on doit interpréter tel drapeau pour ne pas confondre Saint-Morbac et Saint-Trouduc.
Tout allait bien jusqu'à ce qu'il ne pleuve, nous ne nous étions pas adressé la parole. A peine le vieux mâle avait-il repris, mal et à voix plus haute, une blague que j'avais sortie quelques instants plus tôt à ma chérie lors du passage de la délégation folklorique de Colombie dont les danseurs et danseuses, aux couleurs à faire pâlir de honte le ciel gris, se trémoussaient à merveille sur les rythmes endiablés des percussions. Je trouvais effectivement les résultats produits par le dopage à la cocaïne plus efficaces et plus spectaculaires que ceux issus de la consommation massive de chouchen à laquelle avaient sans doute procédé les suivants et précédents, ces veufs et veuves aux oriflammes marqués d'hermines et de triskels qui trottinaient au son de bombardes stridentes et d'improbables binious. Bref, probablement appelée par ces instruments incongrus et diaboliques, la pluie se mit à tomber.
Pluie est exagéré, bruine conviendrait mieux. Bruine persistante. Crachin breton.
Poussé par je ne sais quelle hardiesse, entendant un quidam parler pluie et mauvais temps, notre voisin se mit en instance de défendre son humide patrie sur le mode humoristique, et reprenant un slogan de tee-shirt rigolo, et accompagnant sa saillie d'un clin d'œil complice à mon endroit déclara haut et fort :

– En Bretagne, il ne pleut que sur les cons !
Il me parlait ! Pourquoi ? Qu'avais-je fait pour mériter ça ? Il fallait lui répondre. Je suis poli, urbain, lorsque l'on me parle, je réponds.
– Eh oui, il ne pleut que sur les cons ! Les gens qui viennent en Bretagne, et ceux qui y habitent.
La conversation n'a pas été plus loin. A chaque jour son petit plaisir.
Comme on était dimanche, j'en eus un second. L'une de mes filles pointa son doigt, me montra un marcheur qui précédait la parade des peuples du monde et crut bon de m'informer « c'est la police ».
Oui ma chérie, c'est la police. L'homme entendit pas peu fier d'être reconnu par une enfant de quatre ans comme étant le dépositaire de l'ordre, de la loi et du Taser réunis. Prestige de l'uniforme, respect de la fonction, fierté de la casquette, de l'insigne et de l'inscription barrant son dos. Flic jusqu'au slip, probablement réglementaire. Sourire de satisfaction sur le visage quelconque de la force de frappe urbaine anonyme.
J'ajoutais : – Municipale seulement.

Le visage se rembrunit. Le sourire fut chassé comme le mauvais temps par la marée. Il partit en râlant. Je n'entendis que « seulement », puis des grommellements. Quel bon plaisir que d'humilier un flic sans qu'il y ait outrage. Les peuples du monde ont dû continuer de défiler sous la bruine battante avant de repartir vers leurs riantes contrées, les autres, les locaux ont dû plier bagad, ranger soigneusement les habits du dimanche et les coiffes de dentelle, fiers de leur folklore, de leur patrimoine, de leur crachin et de leurs drapeaux. Il faisait faim, il faisait soif, nous sommes rentrés.

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