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Toi aussi, fais reluire Mémé

Publié le par François

La mort a, on le savait, plusieurs visages.
Le masque cireux du défunt, avec l'implacable relachement des muscles et ce petit rien de rigidité froide qui vous donne un de ces cachets marmoréens, une élégance décharnée, une rudesse sévère privée de toute aménité, quand ce n'est pas la douleur ou l'étonnement qui ont figé leur expression dans un rictus impitoyable.
Le masque ruisselant des proches, parents et amis, dont l'amour pour l'être cher, tantôt sel, tantôt miel, naguère, devra s'agrémenter de la douce amertume de la mémoire pour conserver un semblant de vigueur.
Le masque fermé des héritiers mécontents, qui de l'embarras que ce décès occasionne dans leur emploi du temps, qui du manque de reconnaissance dont le défunt fait preuve dans son testament.
Le masque inquiet des congénères du mort. La proximité d'âge leur donne  des airs de chien battu. Ils se cacheraient bien au fond d'un trou, histoire de se faire oublier de la camarde, mais l'idée même de trou les effraye. Ils choisissent d'arborer la figure grise de la résignation accablée, impatients de quitter le cortège funèbre pour retourner à la vie, troublés par cette interrogation muette : pour combien de temps encore ?
Le masque discret, mais secrètement enjoué de l'employé de pompe funèbre, qui réalise une belle plus-value sur le chêne, les poignées et le crucifix en métal doré.
Il faut, aujourd'hui ajouter de nouvelles expressions à ce masque que la faucheuse nous pose sur le nez lorsqu'elle passe à proximité de nos humbles personnes.
Celle de l'application dont le petit-fils fera preuve, assidu qu'il sera dans la tâche de faire reluire Mémé.
Celle de la vanité non dissimulée que le fiancé attentionné arborera en offrant le cadavre de sa maman à sa promise.
Celle de la fierté satisfaite que ne dissimule pas Rinaldo Willy, due au succès de son entreprise helvète, la société Algordanza, qui transforme les défunts en diamants, et les restitue à leur famille bien souvent plus brillants qu'ils ne le furent de leur vivant.

Mémé est tout d'abord réduite en cendres puis en carbone, puis en graphite. Grâce à l'action de très hautes pressions et des températures infernales (1 700°C), Mémé se transmute en diamant artificiel en moins de deux mois, ce qui sans Rinaldo Willy ou ses homologues prendrait des millénaires. Puis on brosse Mémé, on la polit, on la taille à la forme désirée (un cœur, un hibou, une cornemuse, un phallus, le client est roi, le client a le choix), on la sertit et on la monte en pendentif, sur une alliance ou on la couche délicatement dans un écrin de velours rouge ou noir. Les fesse-mathieu déposent Mémé au coffre et prient pour un bon ROI (retour sur investissement).
Car elle a coûté bonbon, la vieille, dans sa translucide métamorphose ! Entre 4 500 et 17 000 francs suisses (2 800 à 10 600 euros) suivant le poids de la pierre (de 0,25 à un carat). Mais quand on aime, on ne compte pas.

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