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Les voleurs et les maquereaux, en MP3

Publié le par François

Elle faisait marcher son petit commerce dans sa camionnette. Joëlle. Franchement, je l'aimais. Elle, son sourire, son regard, ses regards, son parfum enivrant, capiteux. Un nectar pour les sens. Peut-importe qu'elle fût une pute. Je l'aimais. Elle me le rendait bien. Nous nous aimions occasionnellement. Pour pas cher. Déjà à l'époque, j'étais sans un. Je ne lui ramenais rien, elle ne me demandait rien. Juste de l'amitié avec le plaisir des corps en plus. Comme dans la Mauvaise herbe, de Brassens, elle me donnait au petit bonheur des p'tits bouts de sa peau bien cachés :

Je suis d'la mauvaise herbe
Braves gens, braves gens
C'est pas moi qu'on rumine
Et c'est pas moi qu'on met en gerbes
Elle se vend aux autres
Braves gens, braves gens
Elle se donne à moi
C'est immoral et c'est comme ça


Les autres hommes qui venaient la visiter dans sa camionnette, eux payaient. Sans doute, dans le tas, un bon nombre la méprisaient et ne faisaient que consommer son corps. L'argent pourrit tout, mais il en faut pour vivre normalement dans cette société. Pour autant que je sache, elle ne travaillait que pour son compte, pour élever son fils, un peu plus jeune que moi. Et pour payer les impôts que l'Etat qui tracasse les prostituées par l'intermédiaire de ses chiens de garde, n'hésite pas à empocher. Elle avait eu parmi ses clients, un petit homme des médias, rond, plein d'esprit et avait déjà une grosse tête. Je garde de Joëlle un souvenir tendre et chaud, réconfortant. Elle reste à jamais au petit Panthéon de mes amours humaines.

Imaginons un instant que l'un de ses clients, pas un béguin, comme je le fus, consomme une pute sans payer – j'use à raison de cette locution : "consommer quelqu'un" pour bien insister sur le caractère transactionnel  de la prostitution – C'est un voleur.
Qu'elle aille s'en plaindre aux flics, à moins qu'il y ait eu un acte de violence, (et encore) quelle est la probabilité que les argousins se précipitent aux trousses de celui qui détrousse la belle qui fait profession de retrousser sa robe. Il aura consommé sans payer. Point à la ligne. Il mettront davantage de cœur à l'ouvrage en coffrant son maquereau, son barbeau, dont ils espéreront faire un indic. Presque un auxilliaire. L'argument déployé pour la pêche au hareng, bien sûr, ne sera pas le recrutement d'une balance, mais la protection de la prostituée. Il est savoureux, d'ailleurs, que le mot hareng désigne à la fois les dignes représentants de ces deux métiers. Dans ce cas, le maquereau sera poursuivi, pas le voleur. Toujours est-il que l'on ne fait pas grand cas de la pute qui n'existe qu'en tant que prétexte.

En revanche, la loi s'emploie à pourchasser et punir le "pirate" de fichiers musicaux. Télécharger un morceau de musique, un film ou un logiciel sur Internet via un réseau poste à poste (peer to peer) qu'un utilisateur lambda met à disposition de tous ceux qui voudront le récupérer est assimilé à un vol.
Car ici, la loi Hadopi prétend protéger les créateurs. Les protéger contre qui ? Contre ceux qui exploitent leur création ?
En matière de musique, je ne suis pas certain que tous les auteurs compositeurs s'y retrouvent sur la vente légale de leur œuvre. Quelle part leur revient du commerce de leur jus de tête en regard de ce qu'empochent ceux qui le produisent ainsi que ceux qui distribuent les œuvres ?
Et quelle place est laissée possible dans toute la production aux petits éditeurs de musique face aux mastodontes Universal, Warner et autres, quant à la distribution ?
Et dans la distribution, que sont devenus les disquaires de quartier ou de petites communes lorsque se sont implantés partout des Virgin, des Fnac, mais aussi des non spécialistes comme Leclerc, Carrefour et autres hypermarchés ? Qui vendent tout uniformément, l'Adagio d'Albinoni comme la côtelette de porc. Dans la mesure, bien sûr, où l'Adagio d'Albinoni a fait office d'illustration musicale pour une pub vantant les mérites d'une bagnole d'une compagnie d'assurances ou d'un paquet de lessive, sinon, pas de place pour Albinoni, on misera sur le dernier opus de la discographie de Johnny Halliday la dernière connerie à la mode. Vous le trouvez, vous, Gabriel Fauré dans les rayons de supermarché ?
Qui est le voleur ? Celui qui va télécharger quelques albums de musique ou l'hypermarché, celui-là même qui face à la crise va baisser les prix du CD parce que la majorité des clients en trouve le prix trop élevé ? Preuve que la marge que se faisaient les distributeurs était monstrueusement substancielle. Ne nous inquiétons pas pour eux, elle l'est encore, ces gens ne vendent pas à perte. Qui est le coupable, le bandit ou la société ? interrogeait André Colomer au milieu des années 20 lors d'une conférence. Aussi, il convient de se questionner quant à la responsabilité des pouvoirs publics et des entreprises que les premiers soutiennent, concernant le problème du droit d'auteur que l'on rencontre actuellement.
Qui, sinon des entreprises comme Phillips inventeur du CD, Sony et  quelques autres tentaculaires multinationales sont responsables de la facilité avec laquelle le citoyen va "pirater la création" des artistes ? (D'ailleurs peut-on légitimement placer sur une même échelle tous ceux qui font profession de délivrer paroles et musiques. Je ne parviens pas à me faire à l'idée que Barbelivien vaudrait Baudelaire et Moustaki ?).
Après tout, qui a réclamé une quelconque avancée technologique dans ce domaine ? Qui avait intérêt à imposer le CD ? Le consommateur ou le fabriquant de chaînes hi-fi ? Personnellement, le disque vinyle me convenait parfaitement. Il a fallu passer au compact disc. Belle manne que la course technologique. A-t-elle profité aux artistes ? Où était la nécessité de changer de support, sinon une opportunité industrielle ? A ce moment-là, la création artistique, en l'occurence, n'a pas été protégée, mais exploitée en tant qu'instrument au service d'un appétit commercial. Le problème de la dématérialisation des contenus qu'il s'agisse de musique, de film ou de texte ne touche que les créateurs, pas des vendeurs de technologies. Qu'un auteur ne puisse plus se rémunérer gràace à sa création ne gêne en rien la course à la technologie... du point de vue des fabricants de technologies. La disparition programmée du CD ne gênera en rien le marchand de lecteurs de fichiers numériques. De même qu'il est un peu facile de stigmatiser l'assassin quand on lui a vendu les armes, faire endosser le rôle du responsable de la mort de la création artistique au consommateur-vache à lait est un peu fort de café, quand on lui a donné (il lui faut tout de même acheter ordinateur et connexion Internet) tous les outils pour qu'il aille glâner ses divertissements culturels gratuitement.
Que les industriels assument leur dévastation.
Ici, on punit le voleur, pas le maquereau. Ça change. Sauf pour la pute qui reste un prétexte.

Pour terminer, je partagerai avec vous ce petit son. Que j'ai acheté naguère.


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