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L'odeur du sang, de la merde et de la peur

Publié le par L'ours

Je ne suis pas natif du Pays Basque, non plus du Sud-Ouest. J'ai quelques racines occitanes enfouies en moi, plutôt auvergnates, limousines, issues d'ancètres que je n'ai jamais connus. Enfant – mes parents voyageaient beaucoup en France – mon fleuve d'élection se nommait Garonne. Je rêvais que ma mère achète une maison dans ce Sud bordé par l'océan. Aujourd'hui, et depuis pas mal d'années, j'aimerais vivre à Bayonne, patrie du chocolat, dans ce Pays Basque, repaire des hommes forts, de muscle et de caractère. M'accepteraient-ils seulement ?

L'année dernière, j'avais reçu à plusieurs reprises des communiqués d'une association anti-corrida. Si dans le fond, j'étais acquis à leur cause – la mise à mort de ce spectacle bestial – le côté militant m'ulcérait, et le discours qui sent un peu le prêt-à-penser les idées à la mode à l'attention des foules bien-pensantes.

Certes, mes rapports avec les bovins sont d'ordre essentiellement gastronomique.

De corrida, je n'ai vu que l'entrée aux arènes montoises de freluquets, possiblement courageux, je veux bien le concéder, en habit dit de lumière, ce qui ne signifie pas que ceux qui les enfilent sont eux-mêmes des lumières.

Jamais de ma vie je n'ai vu agoniser et tomber le taureau pas plus que se faire encorner le torero. Je n'ai jamais vu la pointe d'une banderille dont l'oscillation quand elle est plantée dans le cuir et la chair de l'animal l'excite pour le rendre plus combatif.

Jamais je n'ai vu le "travail" du picador juché sur son cheval, ni sa vara, cette pique qu'il enfonce profondément dans le cou ou le dos du taureau, tranchant ici ou là une artère, maculant de rouge brun sa robe soyeuse et noire. Jamais de ce triste équipage, je n'ai vu la monture pourtant caparaçonnée se faire éventrer et extriper par un taureau ivre de rage répandant et dispersant les chevalins boyaux sous un soleil de plomb.

Jamais je n'ai vu de matador sortir son épée de sa muleta rouge et rose et la plonger mortellement dans le garrot de l'animal.

Jamais je n'ai vu cette foule passionnée de tauromachie, sauvage bestialité, sauvagerie bestiale, brutalité élevée au rang d'art par ses aficionados. Du moins pas à l'heure où souffre, se bat, tombe et succombe le taureau. Je les ai vus entrer, comme on va au Luna Park.

Le seul spectacle où bovins et humains s'affrontaient auquel j'ai assisté – une course landaise – n'a sérieusement blessé personne, si ce n'est dans l'amour propre d'un sauteur se réceptionnant mal ou d'un écarteur un peu trop lent sur une esquive. 

La sensiblerie de certains envers un animal qu'ils ne connaissent pas m'a souvent parue un peu suspecte en regard de la grande tolérance envers le souffrance infligée à des tas d'êtres humains qu'ils ne connaissent pas davantage, mais pour laquelle ils savent argumenter. Nombre de fois où lorsqu'elle existait encore, la peine de mort était réclamée pour certains assassins par d'authentiques amis des bêtes. Les hommes sont surprenants. Combien d'opposants à la corrida ou à la chasse, le traitement réservé aux détenus de nos prisons laisse-t-il de marbre ? Parmi eux, ne s'en trouve-t-il pas quelques-uns à avoir soutenu la guerre en Irak ou ailleurs ?

Je suis plutôt partisan de laisser tranquilles les choses vivantes qui ne se mangent pas, mais j'exècre l'exagération morale et le jusqu'au boutisme militant.

Bref, les amis des bêtes sont bien gentils, mais si on les écoutait, le moustique, la puce et le phylloxéra continueraient à nous faire chier en pompant ce que l'homme a de meilleur.

En mettant la meilleure volonté, je ne parviens pas à trouver un quelconque argument en faveur de la corrida. En tant que spectateur, veuillé-je dire. En tant que nostalgique du franquisme, j'y réussirais sans doute. Je ne suis hélas pas nostalgique du caudillo (mot qui ne signifie pas "petite queue" comme je l'ai longtemps cru et dont la fautive étymologie me séduit encore, ma foi) pour admirer ces analphabètes en haillons sortis d'un ruisseau sec pour entrer flambloyants dans l'arène en maîtres vénérés, serrés dans d'incandescentes parures que les béotiens de mon espèce traitent d'accoutrement. Et d'ailleurs, en matière de panoplie, je préfère le costume de pirate. Ou de fée, mais mon embonpoint...

Je n'éprouve nulle fascination au spectacle morbide où l'un joue sa vie et l'autre, bien contraint de le faire, sa mort. Je ne suis pas sensible à sa justification par un quelconque respect de la tradition. Je n'intellectualise pas suffisamment, pour en goûter toute la saveur, la tauromachie, pour trouver en elle une réponse à une quête spirituelle ou métaphysique en y détectant la symbolique de la vie et de la mort, du courage, de l'abnégation. Je n'y vois aucun acte sacrificiel destiné à payer un tribut ou s'attirer les bonnes grâces d'un grand manitou supposé.

Je ne pressens à cette cruelle liturgie aucune autre communion que celle qui se pratique dans la fange, dans l'amour du sang, de la merde répandue et de la peur ressentie à distance par le lâche. Qu'il est puissant et dangereux, le courage d'une foule de lâches, qui incite au lynchage, aux pogroms à la lapidation des infidèles et à la tonte des femmes qui ont couché avec des allemands.

J' y vois, mais ce n'est pas une bonne raison pour la laisser perdurer, la réminiscence des spectacles antiques, romains, des jeux du cirque. En un peu mou de la bite. En moins grandiose dans la décimation. On reste pusillanime dans le massacre. Timoré de l'holocauste. Faire bouffer du chrétien par les lions, les esclaves barbares (!) par des tigres, faire violer des vierges par des ours (hmmmm, que l'on ne me tente pas !), se faire s'entre-découper des gladiateurs, voilà qui avait de la tenue, du prestige. Ça remettait un peu de lustre à l'Empire.

Dézinguer des taureaux à l'épée, non, c'est un peu étriqué, mesquin, riquiqui.

Que ne remplace-t-on le taureau par un Turc ? N'ayant rien contre les Turcs, j'ajouterai : ou un Monégasque ? Ou joindre l'utile à l'agréable, un taliban afghan, un alquaïdien, un terroriste ? Plus local, un membre de l'ETA ? Non, je plaisante. Un ancien jeune giscardien, peut-être.

Mais je reste persuadé que peu d'hommes forts continuent d'aimer la corrida. Ne restent que des nostalgiques d'autre chose pour y assister.

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