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Putain d'été

Publié le par L'ours

Putain d'été.
Eté pourri. Il y a 25 ans, Coluche s'éclatait sur un camion, c'était en juin. Je me rappelle, je jouais au théâtre. J'avais fait un mini hommage en reprenant le sketche « un geste pour le cancer ».  Très court, très percutant, presque totalement muet, il aurait dû s'appeler un geste pour la mort. J'avais ça en tête, ce 19 juin 81.
La vache, la camarde, cette vieille salope est gourmande cette année. Même l'été ne lui coupe pas l'appétit. Le tsunami parfumé aux radiations en guise d'amuse-gueule ne lui avait pas suffi, pas plus que les répressions sanguinaires des tyrans dans les pays arabes.
Un homme arrive sur scène, côté jardin, un passant, un quidam. A l'autre bout, côté cour, un autre apparaît, muni d'une sébile. Il se font face. Ils avancent lentement l'un vers l'autre.
Toujours plus, il lui en faut toujours plus, des morts cruelles, qui vous font l'effet d'un placage de black. Tu reçois la nouvelle dans le buffet, elle te coupe le souffle, te met au tapis, te laisse sur le carreau. Ouch. A croire qu'elle prend plaisir à vous bouleverser.
L'homme qui tient la sébile change de trajectoire chaque fois que l'autre modifie la sienne pour l'éviter. Ne pas se retrouver face au quêteur. Ne pas se faire harponner. Mais c'est sans compter sur son opiniâtreté.
Elle met les bouchées doubles, la méchante goinfre. C'est tsunami et irradiation. C'est Libye et Syrie.
Et là coup sur coup, elle redouble d'appétit. Un sale con, paranoïaque viking, qui imagine ses fjords infestés de requins soviétiques et de loups islamistes, un de ces tenants de l'aryanisme blond et pur fait exploser sa bombe à Oslo et tire à vue dans une réunion de travaillistes.
Mein Got, il y a quelque chose de pourri au royaume de Fortinbras ! L'actualité nous avait habitués à entendre le mot Al Quaida lorsqu'il était question d'attentat, ces Croisés du croissant, ces idéologues d'un fascisme religieux. La bête immonde, qui on le savait, a des frères tout aussi mal élevés qu'elle, s'est réveillée. Partout en Europe, elle secoue ses puces, elle gagne les mentalités, se rengorge de la crise, trouve des sujets à sa haine comme pour mieux la justifier.
Les hommes se trouvent maintenant face à face. Il n'y a plus d'échappatoire pour le passant. L'autre s'adresse à lui, agite sa sébile qui tintinnabule : « Monsieur, un geste pour la mort ». 
Et là, elle s'accorde une petite friandise. Amy Winehouse. Grande chanteuse. Petit bout de femme, le cœur à vif, malheureuse comme les pierres, probablement. Défoncée, alcoolo, égarée. Il y avait tant de failles dans cette petite bonne femme qui avaient forgé le relief de sa voix. On lisait de la joie simple dans son sourire lorsqu'elle avait bien chanté, un bonheur fugace ?
Le reste de sa vie était relaté par le menu dans les journaux à paparazzi. Dans ces poubelles : la descente aux enfers, les effluves de scandales, les ratages, les excès. Que peut-on y trouver d'autre que de nauséabondes exhalaisons. Elle chantait de la soul. Soul veut dire âme en Anglais. C'est son âme qu'elle réservait pour son art, qu'elle donnait à montrer. Elle en avait. Elle partageait le meilleur d'elle-même. A la voir, on a le sentiment qu'elle n'était d'accord avec la vie que sur scène, quand son âme pouvait s'exprimer. Il y a toujours de l'amour sur une scène de spectacle.
Alors, le quidam ne fouille pas dans ses poches, faisant mine, penaud, de ne pas trouver une piécette de monnaie, il n'attrape pas son portefeuille pour en tirer un billet, il ne sort pas son chéquier, il se contente d'adresser au quêteur un simple geste : un bras d'honneur.

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