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Sur le sein de Kylie Minogue

Publié le par François

Les remises de médailles me laissent froid. Je me demande si récompenser un artiste dans un monde adulte par un colifichet – honorifique, certes – comme un quelconque militaire est la meilleure façon de l'honorer, imposant la marque de l'Etat sur son auguste poitrine dans laquelle bat un cœur libre sans lequel l'artiste ne serait qu'un petit commerçant ployé sous le joug des désirs de ses spectateurs.
Les remises de médailles me laissent froid, bien qu'elles soient justifiées par ceux qui les épinglent sur le revers du veston ou la robe du récipiendaire. Ainsi, l'ordre des Arts et Lettres récompense par l'entremise du ministre de la Culture « les personnes qui se sont distinguées par leur création dans le domaine artistique ou littéraire ou par la contribution qu'elles ont apportée au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde. »
Bien.
Donc notre grand et beau pays donne des médailles. Et notre immense ministre de la Culture, Christine Albanel, probablement conseillée par de prestigieux personnages, spécialistes de la chose, au regard acéré, à l'analyse indubitable, pleins de sagacité et de clairvoyance dans le discernement, a décelé en Kylie Minogue, une de ces considérables personnes faisant rayonner les arts et lettres en France et dans le monde. Ce qui de la part d'une Australienne n'est pas une mince affaire, vu que c'est pas la porte à côté.
Ah bon. Mais sinon, qui c'est Kylie Minogue ?
C'est une chanteuse qui chante en Australien, ce qui ressemble de près ou de loin à de l'anglais international plus ou moins américanisé, et relativement incompréhensible pour un type comme Shakespeare. Elle chante : Wow, Tears on my pilow, Sweet music, Under the influence of love, Cow boy style, Drunk, Especially for you... Et l'on s'aperçoit à la seule lecture des titres comment que ça rayonne grave la culture, dans le monde. Parce que, hein, ça veut bien dire ce que ça veut dire, ça, Wow ! C'est envoyé, non ? C'est un peu l'équivalent de diantre, bigre, fichtre, foutre. Mais en Australien. Et ça a l'immense avantage d'être compris par tous.
Pas nécessaire d'aller farfouiller dans un de ces obscurs objets obsolètes que les obsédés textuels nomment dictionnaire, obstinément obtus à l'obligation d'obvier à la difficulté, objurgation contre une trop grande exigence dictée par le marketing allié au jeunisme, hydre à deux têtes promoteur de sous-culture.
En clair, pour les adolescents qui n'entendraient pas certains gros mots employés ci-dessus : pas nécessaire de chercher dans un de ces vieux livres relous que les amoureux des mots appellent dictionnaire, trop relous qu'ils veulent pas qu'on cause facile comme c'est qu'on le dit à la télé que tout le monde y comprend dans le monde moderne globalisé et mondialisé.

C'est ainsi que le sein de Kylie Minogue pourra désormais s'orner, si besoin en était, d'un joli ruban vert et blanc.
Et quelqu'un qui dit "Wow" comme d'autres diraient en perdant un temps précieux :

(*) Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris ;
J'unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études ;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !


…ça vaut pas d'être chevalier des Arts et Lettres ?
Et que vive longtemps encore cette volonté d'excellence, cette persistance, chez les représentants de la France à reconnaître et gratifier les authentiques promoteurs des Arts et des Lettres.

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(*) La Beauté, Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal.

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