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Plus vite, plus vite ! Vite l'An 01.

Publié le par François

Tout et tout de suite. J'ai le sentiment que "tout et tout de suite" est de venu l'axiome incontournable de nos sociétés dites développées. Revers de la médaille, beaucoup n'auront que peu sinon rien, et jamais.
Depuis la reconstruction après la seconde guerre mondiale, nous n'avons eu de cesse de courir après le moderne, l'objet moderne, la pensée moderne, qui se sont transformés en jetable, l'immédiatement moderne rend périssable le vieillissant, le précédemment moderne. On a baptisé "progrès" tout ce qui est nouveau, sous prétexte d'amélioration même minime de l'ancien. Dans les années 1950 à 1975, on a valorisé par voie de réclame, modernisée en publicité, renforcée par le marketing) l'acquisition de biens récents, objets en tous genres, en affirmant que souscrire à tel achat équivalait à se démarquer de son voisin, qui, le gros ballot, le ringard, n'avait pas la présence d'esprit, le goût ou les moyens financiers de se payer tel ou tel machin. Il fallait du neuf, il fallait être in, up to date, au goût du jour, en contrepartie de quoi, on restait fréquentable. La bourgeoisie flaubertienne triomphait. Les trente glorieuses allaient nous tuer.

L'art, la musique et la littérature n'y échappèrent pas, le ready-made, le pop art, la culture pop, pour contre-culturels qu'ils fussent, devinrent après récupération de fervents artisans de la société de consommation, pour finir en produits consommation (courante pour certains d'entre eux disques, films, livres) et instillèrent dans nos esprits un poison : l'immédiateté. Tout devenait bon à prendre. Tout était donc bon à vendre. On crée vite, on vend en flux tendus. On crée la demande, on fournit, on "prend l'oseille et on se tire", puis on cherche à remplacer.
Maître-mot : la croissance. La croissance crée le déchet. Le serpent le sait bien, qui se débarrasse de sa peau dès qu'il se sent à l'étroit. En conséquence de quoi, le nouveau n'a plus besoin d'être durable, solide, ou (et) de qualité. Il est même déconseillé pour nombre de "produits" qu'ils vieillissent bien.
Le divertissement est devenu "culture de masse", pratiquement tout tend à entrer dans cette catégorie. Les artistes ne sont disponibles qu'en période de "promo", nous sommes au siècle du petit commerçant pour foule inculte, où on interroge l'auteur ou l'artiste non pas pour l'extraordinaire que recèle son œuvre, non pas pour l'avancée intellectuelle qu'elle peut représenter, mais pour occuper du temps d'antenne, et du papier blanc, et parce qu'il est déjà connu, déjà vendeur et correspond au goût du jour. Une fois la promotion du livre, du film, du disque achevée, l'artiste retourne chez lui, attend que la masse achète et que disparaisse au solde de la vente, sa production intellectuelle, son produit devenu périssable, obsolète, dépassé – déchet. Les ouvriers maniant les outils de promotion passent à autre chose et réitèrent le processus.
A quoi donc, dès lors, pourrait bien servir l'exigence de qualité, l'intelligence, la contestation d'un ordre établi – on ne tue pas la poule aux œufs d'or ! Pas tant qu'elle pond, du moins.
Quant à la "masse". Pourquoi, se soucierait-on de lui fournir un contexte dans lequel elle serait en mesure de choisir ? Pourquoi réclamer de sa part un effort de concentration dans sa lecture ou son écoute ? Ce serait contre-productif.
Les marchands n'ont aucun intérêt à élever intellectuellement les masses et pas davantage aiguiser son discernement. Pourquoi, nos dirigeants mettraient-ils vraiment tout en œuvre pour que la population soit une population cultivée, défendant des valeurs, bien réelles, celles-ci, d'éducation permettant d'analyser, de comprendre, de juger tout message qui lui est transmis, lui permettant de faire la part entre un discours programmatique, par exemple, si on veut s'aventurer sur le terrain politique, et un nuage de poudre qu'on lui jette aux yeux.
Les dirigeants, tout comme les marchands ont intérêt à avoir la bêtise pour clientèle. Et la principale arme servant leur intérêt est l'accélération du mouvement, le raccourcissement du temps.

Ainsi, Alain Bashung qui n'est pas sans qualité et qui n'est pas le pire crétinisateur du moment, est encensé partout pour son dernier disque, sans qu'il se trouve quelqu'un dans nos médias nous assommant de son "Résident de la République" pour s'émouvoir de l'infernal futur du verbe courir qu'il nous assène méchamment. "Je courrirai moins jusqu'au jour où je ne courrirai plus".
Ainsi, les enfants des classes primaires grandissent jusqu'au collège, puis jusqu'au lycée, puis arrivent à l'âge adulte en ignorant quel est le siècle de La Fontaine, de La Bruyère, ne connaissant que vaguement la géographie, réécrivant l'Histoire au gré de leur fantaisie ou des fantasmes d'aînés tout aussi incultes, mais davantage politisés, pour qui le mot apprendre est synonyme de "prise de tête", pour qui le mot effort ne s'applique exclusivement que sur un terrain de sport.
Ainsi, on porte aux nues le "slam" pauvre versification banlieusarde supportée par une musique lénifiante au détriment de la poésie sous prétexte que de jeunes imbéciles parviennent à aligner quelques mots tissant une pensée communautaire commune.
Ainsi Diam's et autres rappeurs chanceux sachant jouer de l'image sont tenus sur un piédestal, se rengorgent et se tiennent pour des références, parce que porteurs d'un message "vrai", prétendument revendicatif, en phase avec leur époque.
Ainsi, il se trouve des enseignants pour les inclure dans la soupe aux cailloux qu'ils servent aux écoliers qui leur sont confiés.
Ainsi, tout se décline sur une forme (cf. Recyclons et tournons petit pataronrond), s'imite, se copie.
L'imitation et la copie résolvent le problème du temps. On coupe court. On vise l'image sans réflexion. On se met à
haïr les miroirs, de peur qu'ils ne nous révèlent la vacuité de nos constructions.
Ainsi nous avons un Président tenant des propos de commercial, qui ressemble davantage à un VRP, qu'à un chef d'Etat.
Ainsi nous avons une lourde carence en utopie. L'idéologie est devenu un gros mot, une tare des siècles passés.
Ainsi, nous avons une jeune génération qui veut tout et tout de suite, comme s'il était question de vivre comme sur une console de jeux vidéo ou dans le monde virtuel d'Internet. Des trentenaires (l'exemple le plus probant est celui de votre Garde des Sceaux (pour ma part je la récuse, tant elle m'insupporte) criant à l'injustice faite à ses congénères de ne pas occuper davantage de postes à responsablilités, comme si la génération créait des droits en dépit des talents.
Ainsi, leur vie est une perpétuelle fuite en avant.
Prêts à tout (***), à n'importe quoi pour être mis en lumière, leur visibilité dans le monde est plus que tout nécessaire. Leur moi se nourrit exclusivement de photons. Hors la reconnaissance publique ou plutôt ce qu'on pourrait nommer l'objectivation de leur personne par un grand nombre, point de salut. Appelons ce le syndrome "vu à la télé", "100 000 amis sur le Net" ou "Blog rank élevé", c'est la même chose. De même que pour leur modèle on parlera de "5 millions d'entrées", "700 000 albums", "2 millions de chiffre d'affaires" ou "casserole d'or à la Nouvelle Star".
Ainsi nous créons une société de luxe et une société d'insignifiance, le but à atteindre consistant pour ceux qui vivent dans la seconde de réussir à s'insérer dans la première.
La sanction pour ceux qui n'y parviennent pas s'appelle le désespoir. Et ceux-là seront toujours les plus nombreux.

Ne faudrait-il pas tout arrêter, et réfléchir ? Faire un pas de côté et regarder ?
Ce ne serait pas triste.



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