Axiome sweet home
Christian Estrosi, qui n'est pas un imbécile, l'a dit : « la sécurité est la première des libertés ».
Allons bon. Je ne parviens pas à me souvenir dans quel marbre la chose est gravée. Voilà un bon exemple de marketing. J'avais déjà entendu cela dans la bouche d'un autre ministre. Celui de
l'Intérieur, si je ne m'abuse. C'est beau comme l'antique. Et qui ne risque pas de ne pas remporter l'adhésion du bon peuple.
N'a qu'à lui demander au bon peuple : ils y veulent se faire racketter ? Ils y veulent se faire matraquer le crâne, castagner les côtes et l'estomac, dévaliser la maison, dépouiller du
portefeuille, du téléphone portable, de la voiture pourtant bien garée, assassiner isolément ou en famille, égorger salement, proprement massacrer, violer ses filles et sa compagne ? Non. Il ne
veut pas le bon peuple. Déjà, il doit éviter les regards trop directs vers les forces de l'ordre, les réflexions réprobatrices à l'égard des képis emplis de toute puissance, c'est pas le moment
que les voyous s'en mêlent. Et les voyous sont légions sur nos antennes. Tous les jours, ils se manifestent, t'as qu'à voir le besoin de police qu'on a. Depuis l'affaire Woerth, on a un besoin
urgent de police. Mais foin de digressions, on parlait communication.
Nos valeureux ministres nous inventeraient un nouvel ordre de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, à croire. Certes, le mot sûreté existe dans ce joli texte. A l'article II. Tout
de suite, et voyez comme la logique fait bien les choses, après le premier qui affirme :
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ».
L'article II dit ceci :
« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à
l’oppression ».
Mais « la sécurité est la première des libertés », nouveau slogan que l'on risque d'entendre jusqu'à ce que les oreilles saignent a surtout le mérite d'être un raccourci même
s'il est incompréhensible. Lancé comme l'accroche pour une nouvelle marque de lessive, aisé à retenir, facile à répéter, qu'importe le sens pourvu qu'il frappe l'esprit. Une formule qui à force
d'être serinée finit par devenir communément admise. Le lieu commun se voudrait sens commun.
La sécurité est donc une liberté. Comprends pas. Que la sécurité, disons la sûreté, soit une condition à la liberté, dans un certaine mesure, admettons. Sauf lorsqu'il s'agit de vanter la prise
de risques dans la « libre » entreprise, la sécurité, là, on la fustige, on lui fait les cornes. Pas d'interventionnisme de l'Etat, par exemple, dans l'entreprise, par amour de la
liberté on ne craint pas le risque, on l'encourage même. On le vante, on se tresse des lauriers d'oser en prendre.
Dans l'idéologie dominante du libéralisme triomphant, le fonctionnaire est un ringard qui s'accroche à sa sécurité comme une moule à son rocher, un boulet incapacitant dont il est capital de se
débarrasser. Hormis, bien sûr, les fonctionnaires de police et les hauts fonctionnaires (on ne scie pas la branche sur laquelle on est assis).
Pire encore, la sécurité de l'emploi que pourraient exiger les salariés s'il leur venait à l'idée de prendre au pied de la lettre les injonctions du ministre de l'Industrie, est subitement un
frein à la croissance de l'entreprise, une intolérable attaque à la liberté d'entreprendre.
La première des libertés est la liberté de se mouvoir, physiquement parlant, la liberté de s'exprimer, intellectuellement parlant qui débouche naturellement et logiquement sur le dialogue.
Le slogan assène. Il fait figure d'axiome. C'est un coup de matraque au dialogue.
Et comme un axiome est une proposition acceptée comme vraie sans qu'elle soit démontrée, on n'est pas à l'abri d'une connerie.